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9 novembre 2010

Bordure

                                                        Bordure

         Un mot qui me fait immanquablement penser à border line, allez savoir pourquoi ? Ces fameux états limite dans lesquels les psychiatres et autres analystes classent toutes ces maladies indéfinies qui ne relèvent ni de la psychose avérée, ni des simples troubles névrotiques ou obsessionnels dont nous sommes tous un peu victimes. C’est vachement pratique. Quand on ne sait pas comment définir une chose on crée une catégorie dans laquelle on la range. Pour la négliger, un peu comme les fameuses commissions de Clémenceau servaient à enterrer les difficultés.

                   

         Un mot de sens commun pour une multiplicité d’usages. Pensez donc les bornes  et les marges, les rives et les lis, les franges, les limites, les trottoirs, les lisières …font partie des bordures. Le pire, vous vous en rendez compte, c’est avec de tels mots qu’on définit d’autres mots, les plus complexes avec des mots simples, et ce risque que les mots les plus simples nous entraînent dans des voies compliquées, voire des circonlocutions fastidieuses.

         Ainsi bordure, un mot qui se promène : de la frontière jusqu’à l’ourlet de la couturière, de l’orée du petit bois de mon cœur jusqu’à la rangée de pâquerettes que vous avez laissée pousser le long du gazon. Les bordures sont infinies, il y en a partout et de toutes sortes. Certaines sont solennelles et gardées par les forces armées, tandis que d’autres aussi insignifiantes que les arceaux démodés qui limitent nos allées de gravier. Au 19ème, les fameuses fortifs de Paris qu’on a transformées en périphérique autoroutier, étaient des drôles de bordures. D’un côté on s’embourgeoisait, de l’autre on s’encanaillait.

Les limites font bien les différences.  Grâce à elles on a pu dire vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà, pour bien signifier le changement de nature qui affecte les ici ou là les usages et les mœurs. Par-dessus les fortifs déjà citées, on s’insultait copieusement et parfois on s’assassinait paraît-il. En tout cas c’est ce qu’on racontait aux braves gens pour leur faire croire, déjà, que les autorités, tout entières vouées à leur protection, veillaient au grain. Et les bourgeois s’y promenaient le dimanche avec ce petit frisson du danger maîtrisé qui fouette le sang de l’honnête citoyen autant qu’il le rassure.

Malgré la rime féminine bordure sonne fort, comme tous les nombreux autres mots en « ur ». Un mot de pierre ou d’acier ou, pour rester sur l’aspect moral de  la chose, un mot qui prévient ou menace. Les limites qu’il ne faut pas franchir sous peine de punition, les bornes à respecter, le bon côté du soleil de la réussite et la part de l’ombre du doute, de l’échec. En voilà des interprétations féroces dont  nos contemporains sont friands : interdiction de marcher sur le gazon sous peine d’amende, prohibition des substances illicites même à vélo, surtout pas à vélo bien que la majorité de la population consomme allègrement les mêmes substances sur ordonnance de la faculté. Allez ! C’est pour faire passer la pilule. Et ne regardez pas en l’air, la critique est mal venue et la caricature un blasphème.

J’en reviens à ma première idée de psychanalyste pour me demander si notre époque n’est pas gravement affectée par cette contrainte de l’absence d’horizon. Longtemps nous vécûmes heureux dans la certitude que les déserts étaient infinis et les mers sans rivages. Et Colomb vint, puis la conquête du Sahara et autres terres et peuples.  Maintenant que nous avons acquis la certitude que notre espace est confiné et que nous sommes condamnés au partage, ce pourrait-être la raison de nos névroses et, plus grave, des syndromes d’états limite que manifestent certains des dirigeants de cette petite planète. Ils ne seraient pas tous pressés de partager.

Allez savoir.      

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  • Blog des mots. A partir d'une définition de mots simple, ce blog raconte l'actualité, effleure les sentiments, égratigne les gens et les hommes publics tout en s'efforçant de distraire. Gardons le sourire, les temps sont durs.
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