Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mots d'ici
25 novembre 2013

Fourrure

                                                           Fourrure

                         Un songe de caresse, une douce providence, une défense intime, du cousu-main pour dissimuler le corps aux regards indiscrets, elle ne le colle jamais, et laisse deviner, pour Elles, les courbes sensuelles discrètement suggérées, pour Eux, la splendeur de leur caractère ou les qualités de leur allure. Ironie. La fourrure est un leurre passé de cour, attaché au col du magistrat, du professeur, de la cocotte, symbole d’un pouvoir suranné envers les justiciables, les disciples, les prétendants. Au fil des âges elle  a changé de mode, a parfois perdu sa valeur, fut taxée de la pire des cruautés en raison de l’abattage impitoyable de petites bêtes innocentes ou du piégeage épouvantable des plus sauvages. Certains, les plus éloignés de l’état naturel sans aucun doute, marchaient sur des dépouilles de tigre, arboraient l’hiver des pelures d’ours ou lutinaient sous des couches abjectes cousues de cadavres de bébés phoques, de visons, de zibelines et autres martres.

                         Je croyais naïvement que l’abattage animal disparaitrait en ce début de siècle avec les progrès de la société, en tout cas que l’usage de la peau ne serait plus de mise, au moins sur le plan vestimentaire. Enorme contresens. Le 11 novembre, la retransmission d’une algarade télévisée étonnante s’est chargée de démentir ce préjugé. Sur les Champs Elyséens une Marie Chantal, venue tout exprès pour exprimer un courroux qu’elle croyait juste, se faisait vertement réprimander par un professeur de philosophie à lunettes. Déjà, ce couple improbable, improvisant une saynète en un endroit impossible, dégageait une forte impression d’incongruité mais, de surcroît, le choix des armes étonnait. L’un arborait fièrement ses binocles républicains et l’autre affichait en silence son mépris du verbe grâce à une épaisse pelisse de fourrure qui la vêtait comme un chic bouclier. En d’autres temps ils auraient pu en venir aux mains mais non, spectacle inoubliable, armes inégales, mondes injoignables, l’une s’affichait en renarde égoïste tandis que l’autre espérait en la vaine vertu de son discours. Incommunicables.

                         Les pauvres ne portent généralement pas de fourrure, ou bien c’est du simili, du toc, du faux poil fabriqué à partir de matières issues du pétrole ou d’huiles végétales, de quoi leur apprendre à rester pauvres. Tout compte fait  c’est préférable que de conserver de vieilles peaux qui vieillissent encore plus mal que leurs propriétaires et perdent leurs poils ternis ou en affichent des franges mangées aux mites quand elles ne puent pas les fonds d’armoires. Si vous avez hérité d’un manteau de telle sorte suant la naphtaline, je vous conseille de vous en débarrasser sans aucun regret sentimental pour la grand-mère qui vous l’a légué. Ce n’est plus de saison. Vous montrerez ainsi de la considération pour des amis  habillés en vrai simili et du respect pour le règne animal en voie d’extinction.  

                         Un qui a bien compris l’esprit du siècle est ce drôle de cinéaste polonais émigré aux Etats Unis puis exfiltré en Suisse : il a habillé la Vénus qu’il vient de nous livrer au cinéma, non pas de fourrure mais des parures symboliques de la guerre que mènent les femmes, avec des armes autant spirituelles que vestimentaires. Vêtue, c’est un bien grand mot puisqu’elle est superbement nue à l’acte final, son Aphrodite danse dans la pénombre seulement parée d’un long  châle tissé qui met en valeur son universelle beauté et figure surtout sa victoire totale sur le jouet qu’elle s’est asservi, acteur, auteur, mari, petit homme. Polanski, c’est lui, nous rappelle ainsi que la fourrure est d’abord un objet de désir, un rappel analytique de la douceur du sein qui nous accueillit à la naissance, puis l’envie du chaud refuge sous lequel élaborer pendant l’enfance les rêves qui nous ont permis de grandir, enfin, adolescents, quand les tentacules du monde nous caressent chaque jour davantage, la douceur aigüe de la jouissance partagée.

                         La fourrure est femme définitivement et péremptoirement. Il n’est vraiment pas besoin d’en porter pour qu’elle soit désir, mais gare, nous avons connu autrefois une  Aphrodite, célèbre danseuse nue du dernier siècle, qui usa et abusa par profession et à profusion de luxueuses parures sensuelles. Sort cruel, elle fut étranglée en public par son trop long châle sottement enroulé à l’essieu de la voiture de son amant. Pauvre Isadora Duncan.

Publicité
Publicité
Commentaires
Mots d'ici
  • Blog des mots. A partir d'une définition de mots simple, ce blog raconte l'actualité, effleure les sentiments, égratigne les gens et les hommes publics tout en s'efforçant de distraire. Gardons le sourire, les temps sont durs.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Publicité