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9 septembre 2012

Autobus

              Autobus

                          Il fête son centenaire. Ceux qui l'ont connu tracté par des chevaux ont probablement tous disparu. Pourtant c'est comme ça qu'il est né l'omnibus de nos grands-pères, moyen de transport de tous, omnes. Quand le moteur à explosion est apparu, les chevaux et le latin se sont effacés au profit de l'auto qui, depuis un siècle, bouleverse nos vies, détruit nos paysages à coups de goudrons invasifs, et pollue notre santé à force d'émissions de gaz irrespirables. Pensez donc, autrefois on jugeait la richesse des gens sur leur mine, aujourd'hui c'est la taille de leur cylindrée qui compte.

                        L'autobus constitue néanmoins un progrès essentiel sur le  moyen de transport individuel lancé dès le début de l'autre siècle par les industriels avec la célèbre Ford T. Pendant longtemps il bringuebalait entre les villages de France, convoyant ici des paysannes en caraco avec leurs cages à poule, livrant là une machine ou un moteur introuvables sur place, acheminant les militaires en permission de retour de leurs casernes et les filles des gens modestes qui avaient brillé au bac vers l'université. A cette époque nul ne songeait à demander au chauffeur ce qu'il avait bu avant de partir, ni pourquoi son engin  penchait tant dans les virages à cause d'amortisseurs fatigués, de pneus à l'aube du ressemelage ou du surpoids des malles hétéroclites accumulées sur la galerie. C'était le bon temps de l'autobus et les accidents étaient aussi rares que la vitesse modeste et la circulation sans obstacles.

                        Dans les villes il résista au tram et au métro au point que les habitants de nos métropoles, Paris surtout, se souviennent avec nostalgie de la plateforme sur laquelle on sautait en marche et de la chevillette sur laquelle on tirait pour demander l'arrêt. Un contrôleur en uniforme vous faisait les gros yeux avant de tourner la manivelle de sa machine bizarre à sortir les tickets au prix de votre course. Un vrai personnage cet autobus: dans ses « Exercices de style » Queneau le prit pour décor unique  de son histoire contée sous cent modes différents. Si vous l'avez oublié ou omis de le lire précipitez vous. J'ai connu le père abbé d'un monastère de l'Eure qui m'a confié qu'il trouvait cet ouvrage tellement drôle qu'il en avait fait son livre de chevet ; il lisait et relisait chaque jour une histoire avant sa prière et s'en trouvait assez ragaillardi pour tromper un bon moment la monotonie de son chapitre.

                        Puis les autobus sympa ont disparu et leurs lignes populaires furent sacrifiées au veau d'or. Plus de plateformes ni de galeries mais de vastes soutes à bagages, des chauffeurs sobres qui vous conduisent sur des autostrades de Londres à Barcelone ou de  Prague à Berlin. La mentalité qui va avec est désolante. Il y a quelques années j'eus l'outrecuidance, après m'être installé à SLV près de Nice, de réclamer en mairie un moyen de transport pour acheminer mes enfants dans le seul collège du secteur distant de quatre kilomètres. Des employés puis un adjoint, m'indiquèrent alors avec condescendance que  leurs administrés possédaient tous une voiture, que leur ville ignorait la nécessité de transports publics... C'était évidemment faux mais à la hauteur des préoccupations du maire de cette commune ensoleillée, un notaire opulent qui descendait sans honte les avenues de sa ville dans une magnifique américaine bleu ciel, vêtu d'un costume à rayures et chaussé de souliers à deux tons noir et blanc du plus bel effet. L'autobus qui desservait la Côte avait disparu en même temps que les Chemins de fer de Provence. Sous l'égide du maire les horticulteurs vendaient serres et champs pour faire place à la construction d'immeubles si rémunérateurs que le notaire, auteur de la plus grande partie des transactions, fut réélu plusieurs fois sans discussion.

                        Aujourd'hui on ne l'appelle plus que bus pour faire moderne ou autocar pour faire techno, comme on dit bêtement aéroport pour désigner le camp d'aviation sur lequel on jouait au ballon à l'entrée de la ville avant qu'il ne soit clôturé. Parions qu'un jour, quand on aura brûlé toutes nos cartouches de la dernière goutte de pétrole, les gosses reviendront jouer au foot entre les tarmacs désertés. Ce jour là, s'il reste un omnibus dans une remise oubliée, on pourra lui atteler des chevaux et promener les voyageurs pour un tour de ville en triomphe sur l'impériale, vous savez cet étage supérieur sur lequel on se tient à l'air libre pour se montrer et jouir de la plus belle vue sur les passants à pied.

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Commentaires
A
Deux heures de trajet pour une quarantaine de kilomètres dans les années quarante, quand maman m’amenait chez le toubib spécialisé.<br /> <br /> J’ai encore dans les oreilles le bruit d’apocalypse de la fermeture des portes (deux seulement, à l’avant). Rien à voir avec le « pschitt » pneumatique des bus actuels. Quant au moulin, plutôt rugissement que ronronnement.<br /> <br /> Et puisqu’on en est aux ancêtres, un bien joli mot de là-bas : le CORRICOLO ; c’était, à la « belle époque », le nom de la plateforme tractée par un cheval ou deux, pour transporter à bon marché les algérois impécunieux.
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