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17 août 2011

Clope

                                                      Clope

 

Comme le rouge qui tache, la clope n’est pas faite pour les fines gueules de Neuilly ou les palais délicats du 16ème. La clope, elle se fout des élégants narguilés qui apparaissent dans certains bars de banlieue et des fumoirs réservés aux adhérents cigariers des clubs chics dans les villes à la mode, elle se roule et se fume entre copains sur un bord de trottoir, un parapet accueillant, voire un coin de square avec un banc sympa à l’écart, oublié des familles et des gardes d’enfants. C’est ça la clope : un geste partagé, un signe qu’on se ressemble sans besoin de se parler, une atmosphère qu’on ne respire qu’entre soi, les chassés du bureau, les stressés des sorties de collège, les déprimés de cinq à sept quand la nuit va tomber et qu’on traîne pour rentrer retrouver ses ennuis. Au ciné, clip-clap, la clope s’allume en fin de fin de séance dans l’escalier en bois des vielles salles où claque le pas des spectateurs.

 

            Qu’est ce qu’on y met dans la clope ? Tout ce qu’on veut mais le tabac c’est du rude sous peine d’en perdre tout le charme. Ce sont les fabricants qui ont commencé en fournissant à bas prix  aux collégiens ces immondes P4 dont le tabac contenait autant de déchets goudronnés que le papier trop épais. A l’époque on ignorait le cancer. La gauloise à côté c’était du bon qu’on piquait en douce le dimanche à son père pour fumer en solitaire au jardin. Avec les P4 on se précipitait dans les chiottes à la récré pour respirer cette fumée tellement acre qu’elle prenait le pas sur les odeurs de grésil et d’excréments mal nettoyés de nos fonds de cours. Ceux qui en ont réchappé en gardent le souvenir d’un plaisir intense aux sensations aussi mélangées et stimulantes que les attouchements de nos premières amours sous le porche désaffecté derrière l’église. La clope, comme l’amour, c’est fort mais on peut en guérir. 

 

            J’ai le sentiment qu’aujourd’hui la clope fonctionne  à bloc avec des additifs illicites  qui la rendent tout aussi nocive qu’autrefois. Pour lui rendre hommage on trouve de plus en plus de groupes d’ados dans les escaliers d’immeuble ou dans les rares endroits isolés de nos villes, généralement près des dépôts de poubelles où on est moins dérangé. Autrefois le rituel consistait à tirer une taffe en cachette, aujourd’hui la clope et collective et tous se la passent. En partageant leur salive les membres du groupe s’adoptent et, comme les substances interdites attirent, ils sont de plus en plus nombreux à cloper. Paradoxe, la police  y trouve son compte en faisant aisément son chiffre de délits résolus avec des consommateurs, plus faciles à détecter que les trafiquants professionnels qui dorment ainsi plus tranquilles.  

 

            En toute sincérité on ne peut qu’admettre au vu de ce qui précède que la clope est nocive, tant pour les groupes que pour les personnes. Et pourtant beaucoup d’entre elles continuent pendant que d’autres l’adoptent en nombre croissant. Dans un monde ou les produits accessibles au grand nombre sont stéréotypés tandis que les espaces de liberté se réduisent comme peau de chagrin, elle semble devenue un bel exutoire, à peine concurrencé par les incivilités, les rodéos à motos, les habits religieux ou communautaires hors normes,…

Le gros rouge a déjà perdu la partie au profit de l’habitude néfaste de se saouler en quelques minutes au début d’une quelconque soirée mais la clope survit de cette façon.

 

La clope d’avant, c’était déjà quelque chose. Les volutes noyaient l’écran du cinéma  Paradiso pendant qu’Errol Flynn faisait semblant d’embrasser Zsa zsa Gabor, le spectacle était autant dans la salle où fusaient quolibets et sarcasmes sous les moustaches, entre deux bouffées tirées dans un délice palpable ; ailleurs, dans les bars, les discussions enflammées  remplissaient à ras bord les cendriers autour d’un maigre café ; c’était bon le paquet qu’on tâtait dans la poche au petit matin pour se rassurer avant d’aller au boulot. Tout a disparu. Brassens avec, et son inséparable bouffarde qui nous faisait l’adopter dans la confrérie des fumeurs bouffeurs de cons et amateurs de gros rouge mouillé à l’amitié.

 

« Du gris que l’on prend dans ses doigts et qu’on roule,

C’est bon, c’est fort, ça fait du bien, ça vous saoule » fredonnait Fréhel.

Allez ! On s’en tire une ?

           

 

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