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5 avril 2011

Amarre

                                                           Amarre

 

            Le plus souvent c’est au pluriel qu’on les largue, une façon de nous en dire bien davantage que cet objet tressé, trop simple, trop singulier, qui sert à attacher les bateaux, la corde. Il y a ceux qui partent à l’aventure, prennent racine au loin pour ne jamais revenir, ceux qui pratiquent l’abandon comme une règle de vie commode pour s’évader de quelque pesanteur, ceux qui tournent le dos à l’accumulation mesquine des biens au-delà du besoin quotidien… En bref, il y a cent et une manières de changer d’horizon ou de virer de bord, de partir hardi à l’aventure ou de prendre lâchement la fuite à la première difficulté. L’avantage des amarres c’est de se défaire  facilement.

 

            Les butineurs sont de cette sorte. Ils ou elles, vous lâchent avec une aisance qui vous laisse pantois, désarçonné, frustré. Ils vous enseignent ainsi que le plaisir de la rencontre une fois satisfait,  vous ne les intéressez plus. Chacun chez soi et son quant-à soi sans partage. On ne vous l’envoie pas dire. Un cinéaste en célébra les pratiques au travers du portrait d’une jeune fille : la collectionneuse. Je ne voudrais pas faire le difficile avec cet estimable artiste, aujourd’hui disparu, mais sa volonté évidente de décrire l’amour au travers de quelques unes de ses pratiques les plus exacerbées m’a toujours interloqué. J’ai aussi noté que  Rohmer campait en priorité de jeunes femmes ou des adolescentes. S’il s’agissait de marquer ses préférences on voit bien de quel côté penchaient les siennes dans des Contes si moraux qu’ils finissent toujours dans l’absurde de la séduction non aboutie.

 

            Drôle de manière de vivre que de prendre le large. S’agit-il de réaliser ses désirs ou de les fuir ? C’est selon. Dans la chanson, le marin vire au vent et largue les ris.  Ses intentions sont limpides. Il part à la conquête d’espaces inconnus, il chevauche la liberté autant que la vague et se berce de l’espoir de la découverte : terres nouvelles, richesses, cuisines parfumées, peuples étranges. Tant que l’univers accessible nous fut infini de telles entreprises stimulaient.  Je crains fort qu’aujourd’hui, l’exploration des moindres recoins de la planète et sa relation télévisée, n’aient aboli la place que nous laissions dans nos rêves à des mers inconnues. Nos futures conquêtes ont un arrière goût de déjà vu. Et puis, tant de capitaines sont rentrés au port la queue basse, après avoir raté leur coup.

           

            Le secret est peut être là : dans le plaisir des retours et l’accueil souriant de ceux qui aiment. Les belles  en ont assez d' attendre les hommes à leur fenêtre et sont capables de prendre seules la mer. Ce regard qui renvoie la profondeur des océans on  veut le partager avec celle qu’on retrouve au quai. Le goût salé des embruns parfume les baisers et la force des bras acquise à tirer  sur les drisses est parfaite pour attirer sa taille souple vers la cabine. Les liens sont doux des amours assouvies et les attaches sont aussi faites pour garder les bateaux dans la baie.

 

            Au crépuscule, dans nos anses et nos rades, sur nos navires, des clochettes sonnent  doucement sur les plus grosses élingues, les bannières flottent au vent, les amarres clapotent au rythme des coques en trempant dans l’eau et les corps chuchotent.

Elle est retrouvée.

Quoi ?

L’éternité.

C’est la mer allée avec le soleil.       

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