Chatte
Chatte
Je suis une chatte à la robe noire. Vous savez, un genre assez fréquent dans le midi, juste une touffe de poils blancs au dessus de la poitrine. Mon maître trouve ça élégant. Moi aussi. Bon! Aujourd'hui c'est le printemps. Fini de dormir dix huit heures d'affilée près de la cheminée. D'ailleurs il fait beau. Ma tenue d'hiver a disparu. Ma fourrure luit au soleil levant. Je suis en forme et j'en profite. Un coup d'oeil de côté, la voie est libre. Ma queue fouette l'air de satisfaction pendant que je franchis la cloture du voisin. Il a préparé son jardin. La terre fraîche retournée c'est idéal pour purger mes intestins. Quand il verra les crottes il va encore pester. Je m'en fous. Je choisis un coin bien sec et je me roule de plaisir au soleil. S'il sort, en deux bonds je saute par dessus la haie en me moquant de ses jérémiades. A son air je sais qu'il a compris que j'ai envahi son territoire.
En attendant je me cache près de la bordure. Immobile et invisible j'attends que les tourterelles viennent picorer dans l'herbe. Ventre à ras de terre il n'y a que le bout de ma queue qui frémit. C'est stupide les tourterelles. Elles arrivent par deux, se perchent sur le fil pour vérifier si la voie est libre. Trop bêtes elles ne me voient pas sous les branches. La plus avide descend la première. C'est le moment, un bond et je suis sur elle. Zut encore raté! Mes griffes ont glissé sur les plumes de la queue, le duvet arraché parsème le gazon. Quand il sortira le voisin outré viendra constater les dégâts et me chasser à coups de balai.
Tant pis. J'ai de quoi m'occuper...Le chat roux de la maison du dessous vient de sortir. Il prend l'air de rien et avance doucement pour tenter de venir gratter la terre chez moi, enfin là où j'ai mes habitudes. Ce qu'il peut être laid : une tête trop grosse au dessus d'un pelage ridicule. C'est à se demander à quoi pensent les hommes pour adopter des horreurs pareilles, je le hais! A peine a t-il posé la patte je me mets à feuler. Il s'obstine et fait semblant d'avancer. Non mais! Je saute et je mords. Griffes en avant je lui laboure l'épaule. Il repart chez lui en miaulant au massacre. Je n'ai pas peur des gros chats, je cours tous les jours et je suis la plus musclée.
Bon, pour la vie sociale c'est raté. La faute à mon maître. Quand j'ai eu mes premières chaleurs je n'ai même pas eu le temps d'aimer. Il m'a foutue dans un panier pour me conduire dans une boutique sur l'avenue. J'ai eu beau protester sur tous les tons, rien à faire. J'en avais mal à la gorge de râler. En plus là dedans ça puait le chien de toutes les races, dans tous les coins. Je me demande pourquoi les hommes adorent ces bêtes soumises et sans fierté. Nous les chattes on garde notre dignité. Vrai. Quand je me suis réveillée le ventre emmaillotté je me suis sentie vilaine. Impossible d'avoir des petits. J'ai mis du temps à retrouver la forme, depuis je me méfie de ces barbares même quand je ronronne pour avoir du frichti. Pour me venger je chasse tous les congénères de mon territoire et, de temps en temps, j'attrape une mésange pour montrer mon indépendance. Ils sont furieux.
C'est dur une vie de chatte. Par bonheur le balai du voisin c'est de la rigolade. Il est sympa, il fait exprès de me rater. J'ai compris son manège, je repars chez moi avec élégance, sans me presser. Normal, c'est là qu'il fait chaud et que j'ai à manger les meilleurs morceaux. Quand même j'aurais préféré être un chat de Colette. Vous savez dans la Maison de Claudine quand elle était jeune fille. En ce temps là dans les campagnes la nuit quand les maîtresses faisaient l'amour leurs chattes se perchaient sur une borne pour se choisir un prétendant. Elles avaient des petits. On les retrouvait le matin au soleil sur les rebords des fenêtres,clignant des yeux, faisant la chattemite. Un bonheur d'animal familier!