Chasse
Chasse
Si vous gardez en mémoire l'idée que le chasseur contemporain est le digne héritier populaire de l'abolition des privilèges obtenue de la Révolution française, vous avez tout faux. Les historiens ont rectifié le tir : les cahiers de doléances de 1788 ne réclamaient pas le permis de chasse mais, pour la plupart, le droit au paysan de prélever le gibier, là où il proliférait au point de détruire ses récoltes. La faute en incombe aux livres d'histoire de nos anciennes classes primaires qui colportaient l'image d'un Nemrod rural armé d'une antique pétoire à broche, enfin libre de couvrir en armes les terres communales dont le seigneur avait été banni.
Sous la République la chasse devint un sport populaire. Quand tous ne le pratiquaient pas, nul ne le contestait. Il faut dire qu'il était plaisant de croiser le dimanche la silhouette familière du chasseur du quartier accompagné de son chien. Arpenteur de paysages, proche des maisons où tous le connaissaient, il ressemblait davantage à un promeneur qu'à un tueur de lapins. Il faut dire que dans la France rurale des quatre républiques la campagne était d'abord fréquentée pour les cultures ou la cueillette. S'il arrivait à notre homme d'occire quelque bestiole c'était presque par hasard. Quand on le félicitait, il s'excusait, disant que le gibier s'était pratiquement jeté sur le bout de son fusil, au point qu'il était impossible de le manquer dans un tir réflexe, innocent de toute envie de maculer de sang le bec du col-vert aux plumes colorées, ou bien la fourrure grise tâchée de roux d'un lièvre bondissant dans le pré, si jolie.
De nos jours les choses ont bien changé. Les oiseaux se font rares, les lapins sont malades, les migrateurs ont été décimés au point que les cols où ils passaient en nuées sont parfois occupés, l'hiver, par des fusils plus nombreux que les maigres compagnies qu'ils canardent à tout va pour assouvir leur passion... Ou s'en repaître, qui sait ? Dans tout les cas on ne croise plus de ces promeneurs solitaires d'antan, pour eux ça ne vaut plus le coup. Ils ont été remplacés par des groupes de chasseurs, organisateurs de réunions cynégétiques, inséparables compagnons de battues animées par des meutes de chiens hurlants. Si vous faites un tour dans la campagne vous les trouverez aisément, au bord d'un chemin dont ils ont interdit l'accès aux cueilleurs de champignons des bois, leurs "bêtes noires" après le gros gibier. Faciles à trouver ils sont à l'affut auprès d'un 4x4 rutilant qu'ils ont de la peine à quitter, faciles à reconnaître à leur uniforme de camouflage vert militaire.
Pour couronner le tout, l'ancien fusil à deux coups de plomb de nos grands pères a été remplacé par une carabine automatique capable de tirer des balles de guerre à plusieurs kilomètres. Les plus acharnés n'hésitent même pas à doter leur armurerie d'une lunette à rayon laser, un peu comme s'ils se préparaient à partir au conflit en Irak. Sanglier, si tu passes par là, prends garde à toi !
Ainsi parée la chasse moderne ressemble à la guerre, elle en arbore tous les signaux. C'est à croire que l'inventeur de la psychanalyse, le père Freud qui ne les avait pourtant pas connus, avait deviné avant l'heure que la "pulsion de mort" qu'il décrivait trouverait sa meilleure illustration dans les moeurs des futures générations de chasseurs. Quand la mort devient un spectacle on se demande de quel côté sont les êtres les plus sauvages. Dans la nature ou à l'affut au bord du chemin ?
Ces gens sont fort armés et malicieux, je vous le dis, au point qu'ils ont l'oreille d'un président. Celui ci leur a octroyé des périodes de droit de chasse que le bon sens et le besoin de préservation des espèces aurait dû leur fermer à jamais. Au point qu'ils ont chassé l'écologie en même temps que son ministre du banc public.
La chasse à l'électeur en quelque sorte et tant pis pour les pigeons!