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5 juin 2013

Anabase

                                                           Anabase

             Bien que ce mot soit chargé de sens, l’expédition des Dix mille en Asie Mineure contée par Xénophon, je le choisis davantage pour ce qu’il pourrait  être, autrement, une figure géométrique par exemple, une manie d’architecte, un projet d’analyse voire un lapsus, et il n’est rien de tout celà. Une autre façon, drôle je  l’espère, de mettre l’imagination au pouvoir, consiste à revigorer les mots en leur donnant une signification différente de celle de leur origine, sans la trahir. Pensez : « ce matin j’ai fait une anabase » pourrait être une figure de gymnastique ; « songez à mettre une anabase dans votre moteur, il ronronnera» ; ou mieux, « laissez vous aller à l’anabase et vous aurez la pêche », voilà un conseil qui siérait fort aux constipés du zygomatique qui siègent à notre gouvernement.

             Quelle histoire ! Dix mille, Grecs de souche dit-on, quittèrent leur patrie, maigre péninsule en mal de démocratie finissante,  pour aller combattre aux côtés d’un Satrape perse qui revendiquait le pouvoir contre ses cousins. Au départ l’anabase consistait à monter d’Attique jusqu’en Asie Mineure, une balade si on en était resté là, d’autant que les hoplites, les soldats grecs, faisaient office de phalanges imbattables à l’époque. Las ! Une fois la bataille gagnée le Satrape licencia ces troupes étrangères qui se mirent à errer dans ce vaste continent inconnu sans jamais parvenir à retrouver leur chemin. On fait grand cas de leur souffrance durant ce long périple, en omettant de décrire par le menu les actes barbares auxquels ils furent contraints afin de se nourrir sur le pays, ce qui démontre que l’anabase n’est pas si simple, lorsqu’on a la nostalgie de la mère patrie et qu’on  continue de marcher, des années durant, jusqu’à la délivrance de voir enfin la mer qui vous a vu naître.

             Si l’on considère que l’univers connu des Dix mille se résumait à l’époque aux deux rives de la Méditerranée orientale et au passage des détroits où logeait l’ennemi étranger, la mondialisation et ses dangers étaient déjà à l’œuvre pour les contemporains. Ils avaient perdu leur route, ils cheminaient au hasard, et nous savons par leurs récits combien ils ont haï l’exil. De nos jours les pièges ont changé mais on part toujours à la conquête du monde, en Chine souvent, puisqu’on nous dit que c’est en cette Asie que se gagnent les marchés, conquête moderne. Mais attention, les Chinois sont une autre sorte de Perses. Ils apprennent vite à fabriquer les colifichets que vous leur avez vendus et vous renvoient chez vous en attendant de les brader dans vos campagnes. Pour le commerce ils sont imbattables : deux mille ans de pratique, pensez donc. Ils négociaient déjà avec Marco Polo quand l’Europe en était encore à la foire à Ostende.    

             Voilà comme on perd la mondialisation, l’anabase. On part à l’aventure pour monter dans le monde et on oublie de prévoir le chemin du repli. On croit réussir, on a vendu  ses marchandises puis créé ses usines, installé son réseau d’acheteurs complices, croyez vous, et on décide un jour, fatigué de trimer, usé par la bourlingue, de rentrer au bercail. Et là patatras ! On retrouve un pays envahi de produits bon marché, cassés après usage pour engorger les décharges, de primeurs et de fruits sans goût qui n’ont gardé que l’apparence de ce qu’ils furent, et des consommateurs perdus dans une quête insensée de prébendes, de crédits, de frimes et de fringues. Forcément, que reste t-il lorsqu’on construit au loin son industrie, qu’on vend ses châteaux, qu’on goudronne ses blés pour faire des parcs à touristes ? La patrie chérie transformée en une immense maison de retraite.    

             Heureusement la lumière se lève parfois de manière inattendue dans un Est impossible, imprévu. Place Taksim, je parie qu’il y a huit jours vous ignoriez l’existence de ce rendez-vous de la jeunesse et des étudiants de Constantinople, justement là sur les traces des Dix mille. Leurs descendants Turcs en quête de démocratie s’y retrouvent tous les jours par milliers pour sauver leurs arbres menacés d’éradication par un centre commercial. Je ne sais s’ils y parviendront mais on dit que, quarante ans après, ils ressemblent à ceux qu’on embarquait en soixante huit place du Panthéon et qu’ils chantent le même air : « l’imagination au pouvoir ».

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Commentaires
N
Toujours brillant cher Jean......Lissac.
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