Silène
Silène
Bien que je m’en fasse reproche je ne peux résister à piquer au passage ce mot splendide dans l’actualité. C’est un faune, un satyre ventru adepte de beuveries qui nous arrive tout droit de l’antiquité, et voilà qu’une querelle de comédiens nous le remet à jour à la tourne d’un vers de Rostand. L’occasion était trop belle et, sans prendre parti, ici, sur l’exil volontaire aux marges du plat pays de l’impudent voyageur, il faut bien reconnaître qu’il a ainsi largement mérité de le porter : silène.
Dire qu’une simple et seule lettre sépare ce demi dieu de la débauche, de l’ondine déhanchée qui enchantait les héros au temps d’Ulysse, c’est aussi mince que la frontière qui décida de séparer deux Flandres si semblables au hasard d’une bataille. Je me demande ce que Jacques Brel aurait pensé de cette évasion-invasion afiscale d’un Sancho Pança de cent kilos dans les polders d’outre Quiévrain, lui qui avait joué et chanté Don quichotte dont il conserva l’allure dégingandée et alerte jusqu’au dernier jour. Nous étions au solstice d’hiver. D’aucuns furent nombreux à se porter au secours de l’émigré et de louer son bon goût des caboulots, des moules frites, de la bière qu’on rote et on pisse en trinquant devant la mer du Nord, là où, selon Brel, rien ne distingue la couleur de la terre et du ciel.
Il faudrait donc constater que la morale et la distinction ont dû sombrer il y a deux décennies aux Marquises où disparut le chantre d’Amsterdam. Autant qu’on ait pu en juger Brel, Gauguin moderne, choisit son refuge aux Iles parce que c’était beau, nôtre Silène lui, voulait compter son or derrière une frontière et nous le fit savoir. Les tenants de l’exil nous serinèrent de bien vouloir garder silence, passer sans rien voir que l’admirable liberté de s’installer ou ça nous chante et tant pis pour ces piètres sentiments, doute, humiliation, jalousie, privilège, arrogance, désinvolture, que suscite la manœuvre auprès des pékins de banlieue qui n’auraient de toute façon pas la place de choir dans un si petit pays.
Heureusement les botanistes nous ont aussi inventé un silène. Modeste plante provençale ou des bois selon les sources, Linné la mit dans ses répertoires. Ce n’est même pas une de ces plantes qu’on cueille pour offrir ou fleurir la maison en rentrant d’une promenade, non, on la croise en marchant et c’est à peine si le regard aperçoit quelque calice discret le plus souvent en forme d’outre au milieu de l’évidence de toute une abondante végétation. Cette fleur n’est pas belge, elle ne supporte pas le septentrion, elle est un morceau minuscule inconnu du patrimoine de nos collines, par ici elle pousse pour nous.
Tandis que Silène s’exilait chez les Belges nous étions, je l’ai dit, au solstice d’hiver. L’affaire fit grand bruit au point qu’on oublia dans les gazettes de rappeler cette évidence : où qu’on se trouve le vingt et un décembre à midi, la durée du jour a cessé de décroître et la lumière gagne de précieuses secondes vers le printemps. Du temps inutile pour les gougnafiers qui sifflent de la bière dans les caboulots sombres mais infiniment précieux pour les âmes simples qui s’éveillent tôt inspirées par l’aube. Enfin, souvenons nous que si le ridicule ne tue guère davantage au delà d’une frontière, c’est en deçà qu’on se bidonne en découvrant que Silène, Tintin bedonnant, la houppette en berne, peine à marcher en knicker botter et à rentrer dans son pantalon de golf.