Fenouil
Fenouil
On en fait tout un plat. Pourtant, ce mot facile à retenir comme à prononcer, doté d’une rime qui confine au vulgaire, ouille…, dénué de relief sonore ou linguistique est plutôt insipide. Mais voilà : après l’avoir abondamment consommé dans l’antiquité et lui avoir attribué tant de vertus, les Italiens se sont mis à le cultiver jusqu’à lui donner ce ventre charnu et blanchâtre prisé de nombreux amateurs. Qu’il soit commun, sauvage, jardiné, il faut bien reconnaître son inimitable réputation de plante exclusive au midi et son odeur d’anis qui passionne le gourmet avec une pointe de snobisme provençal
Fenouil avec l’accent de Marseille c’est autre chose que le condiment master chef en vogue à la télé. Une branchette à la boutonnière et vous vous baladez au Panier, remplissez vos poumons des remugles du Vieux Port et remontez la Canebière pour aller boire un pastis en compagnie d’amateurs de criée. Fi de sa réputation, je n’ai jamais aimé consommer cette plante dont je trouve le goût trop prononcé, mais il est vrai qu’un brin de fenouil sur un loup ou une dorade fraîchement pris et grillés en relève délicatement la chair.
Allez savoir pourquoi cet honorable légume évoque, on devrait dire équivoque, les mamailles et les magouilles de la vie politique dans les villes portuaires, les combines du nolisage des navires, les batailles des dockers pour prendre rang dans la file du déchargement, bosser à temps partiel pour émarger à temps complet et rentrer au bercail, la musette sous le bras, en naviguant entre les pieds des grues et les passerelles, avec quelque prise de guerre issue d’un sac éventré ou d’un container aussi mal fermé que bien assuré. S’il en va ainsi à Marseille parions que Naples, Barcelone, Tunis et même Istanbul ont tout autant leurs amateurs de fenouil éclairés. Ainsi va la Méditerranée depuis qu’un Phénicien en a fait le tour.
Hélas, ses habitants peuvent aujourd’hui se poser la question du temps pendant lequel vont perdurer leurs charmants usages et si demain ils pourront encore trouver à la criée le loup, la dorade ou la moindre sardine. J’entends dire que les pêcheurs-usine japonais ont quitté Sète après avoir liquidé le dernier banc de thons et que les chalutiers désarment sur tous les bords de Gibraltar au Bosphore. Leur mer se meurt et les derniers dauphins s’étouffent en bouffant des sacs en plastique qu’ils confondent avec les méduses. Qu’elle est urgente l’union des pays et des hommes de ces rives que certains ont appelée de leurs vœux. Sauvons la mer pour mieux nous sauver.
De ces soucis le fenouil n’en a cure. Il pousse le long des fossés dans le désordre foisonnant des étés ensoleillés et vous invite, même si vous en négligez la cueillette, à casser d’un coup une de ses tiges majestueuses pour le plaisir d’en respirer l’odeur. Attention de ne pas le confondre avec la grande férule qui serait toxique mais plus commune du côté sud de mare nostrum.Au jardin, il vous offrira des cotes renflées au goût plus accommodant venues d’Italie. Dans tous les cas, preuve qu’il était estimé ici aussi, il a donné leur nom à de nombreux villages et bourgs. Les Fenouillet sont légion, parfois accompagnés d’un Paul ou tout autre saint du calendrier.On reconnaît là que l’élégance populaire du fenouil commun vaut bien d’autres plantes et saveurs, soi-disant plus vantées dans les cuisines réputées que fréquentent des célébrités, parfois elles mêmes aussi frelatées que les mets qu’on leur propose.