Mélancolie      

                      Quel mot magnifique. Doux à prononcer, il rappelle toutes les couleurs de l’automne, les matinées désœuvrées de l’enfance vouées au rêve et même les langueurs de l’adolescence lorsqu’elle n’a pas encore trouvé l’objet du désir. Le poète parlait du spleen pour évoquer une sorte de malaise, la longue attente d’évènements diffus qu’on espère sans les connaître mais je lui préfère mélancolie. Elle vous a un petit air d’éternité, Camille et Perdican devisant pour jamais du sentiment amoureux près de la fontaine. La mélancolie toujours jeune et sans succès en quelque sorte.

            Ancolie, une fleur bleue à ne pas confondre avec le colchique. Celui-ci lorsqu’il est abondant, file la colique aux vaches qu’on laisse traîner au pré par mégarde. Au contraire, l’ancolie pousse avant l’automne et était réputée autrefois pour exciter l’ardeur des femmes qui la mâchaient. De nos jours plus personne n’entreprendrait si besoin d’en vérifier le bien fondé, tant il suffit d’ouvrir une page d’internet ou de regarder l’écran de son téléphone pour y découvrir un vaste registre de suggestions érotiques, depuis la simplicité biblique jusqu’à l’extravagance indescriptible. Et je ne dirai rien des romans de Djian ou de Houellebecq sur lesquels on se jette à chaque rentrée pour découvrir d’incroyables prouesses et positions désopilantes.

                     Je vous rassure, mon propos n’est que digression. La belle ancolie des champs n’a rien à voir avec la mélancholia des latins qui l’avaient, comme tout le reste, empruntée aux Grecs. Il s’agit de ce vague à l’âme qui nous prend à toute heure mais de préférence le soir, quand la nuit va tomber. Comme le  crépuscule l’humeur n’est pas complètement sombre, teintée de nostalgie ou des échecs du jour, c’est un entre deux, un verre à moitié vide, un chemin qu’on abandonne à mi parcours un peu à regret, un regard sur soi sans complaisance.

                     Dans l’antiquité les médecins-philosophes ont beaucoup disserté sur cet état d’esprit qui, lorsqu’il devient envahissant et incontrôlé appartient au registre des maladies de la psyché. Pendant plus de deux mille ans peu de connaissances ont évolué, que le vocabulaire : la mélancolie profonde fut qualifiée de  psychose maniaco dépressive puis de trouble bi polaire. Bien qu’en termes savants ces choses fussent dites, psychiatres et psychanalystes furent contraints de rester à agir dans le descriptif jusqu’à ce que la découverte d’un métal miraculeux, le lithium, vienne tirer d’affaire une partie de leurs patients les plus en souffrance.

                     La dépression supplante pour toujours la mélancolie, le jargon scientiste de la psychose chasse ainsi la poésie. Laboratoires et médicastres en profitent pour inventer toutes sortes de molécules qu’ils diffusent en masse. La France tient paraît-il le pompon de la consommation des antidépresseurs et autres calmants, psychotropes, sédatifs, barbituriques et que sais-je. A se demander qui ou quel phénomène traumatise ainsi la population. Je laisse chacun faire son opinion mais je suis prêt à parier que mélancolie n’y est pour pas grand-chose.

                     Au contraire de  ce triste tableau un cinéaste eut récemment l'heureuse idée d'intituler Mélancholia l'histoire de deux soeurs et d'un enfant en butte contre l'éventualité d'une disparition soudaine de la terre. Comme ce film est un chef d'oeuvre je vous invite à découvrir l'art de Lars Von triers dans ce conte digne de l'antiquité. Autre remède contre le pessimisme le dictionnaire du net, si pratique puisqu’il m’évite de me pencher vers ma bibliothèque, m’indique que la déesse Psyché partageait ses nuits en secret avec Eros dont elle eut un enfant après bien des aventures. Leur fille s’appelait Volupté. Une  vraie potion contre les molécules.