Cairn

                         A l’inverse de ce que croient les amateurs de Tintin, ce mot ne viendrait pas du Tibet mais du gaélique. Dans le langage familier, le cairn est surtout utilisé par les randonneurs. Pas seulement semble t-il. Dans certaines régions l’usage de déposer une pierre en un lieu éloigné et secret, serait  associé à un rite funéraire, voire au simple désir de mémoire d’un évènement familial. Parce qu’un cairn c’est un tas de pierres  utile. 

Je saute par dessus  le débat ouvert dans l’antique pour décider à combien de cailloux commence le tas, pour observer que la mode du cairn s’est répandue en même temps que celle de l’alpinisme et la parution des œuvres d’Hergé. Les cairns servaient donc de balises dans nos montagnes bien avant que nos communes ne consacrent des sommes conséquentes à signaler les itinéraires pédestres à l’aide de multiples panneaux ruraux.

                         Voilà comment dans la France moderne on remplace les derniers champs et bois pas encore totalement bétonnés en itinéraires voués à des bandes de touristes supposés rémunérateurs. On se promène de ci de là, on arpente une colline, on suit une laie forestière et pour finir, histoire de marquer son passage, on pose une pierre sur un tas déjà commencé à la corne d’un bois. Oh, bien entendu, ce faisant, on espère toujours, en vain sans doute, qu’un futur passant aura une pensée  émue ou reconnaissante en faveur du dernier dépositaire.

 Enfin ces cairns, aujourd’hui trop communs, sont souvent de forme bizarre : tordus, déhanchés, sans style, déséquilibrés, trop gros ou ridicules de petitesse. Vous l’aurez remarqué! On n’est plus au temps ou les chevaliers, Saussure ou Cessole,  se faisaient un nom dans les sommets ; au temps où les cairns, rares, soigneusement édifiés en haut des pics les plus vertigineux, marquaient à la fois la fin d’une course et sa réussite. N’en parlez pas trop, ce n’est pas  convenable à la gloire de ces nobliaux, mais quelques bergers du cru connaissaient depuis longtemps les chemins et, sans qu’on le sache à la cour, édifiaient en douce des cairns à la mémoire de leurs pères au beau milieu du ciel.    

                         Car je vous le confirme : le cairn n’est pas futile. Au contraire de la pierre inerte qui le compose il est plein d’intentions. Certains croient encore à la chance de gagner à la loterie en le contournant du bon côté, droite ou gauche c’est selon ; d’autres se rassurent en passant sur le bon choix de leur vie comme sur la sûreté du chemin qu’ils ont parcouru.  Il en a vu passer de drôles le cairn…des amoureux, des transis, des désespérés, des contents d’eux, des persifleurs, des chanteurs, des chasseurs et des coureurs des bois, des braconniers et des coureurs de jupon. Pensez-donc ! Pour peu qu’à côté du cairn un grand chêne ait poussé, on peut s’embrasser à son ombre et, s’il y a de la mousse…..

                         Il est formidable le cairn. Objectif il ne voit rien, ne raconte rien. La pluie qui ruisselle ou le soleil patinent ses pierres à l’égal de celles de la pente voisine. On ne peut rien en conclure sinon qu’il est là, indestructible ou reconstructible et qu’il vous nargue, vous qui passez, vous qui ne faites que passer.