Aloès
Aloès
Un mot à la sonorité séduisante, un mot qui revient souvent en mémoire parce qu’il a, hasard d’un jour, piqué la curiosité, un mot court qui remplit quand même longuement la bouche quand on le prononce, l’aloès est stimulant. Car il pique l’aloès, du bout de ses rostres plus ou moins développés selon les espèces. Voilà pourquoi il est commun de le confondre avec un vulgaire cactus bien qu’il n’en ait pas les aiguilles et de se faire corriger par les férus de botanique.
Bien qu’il ne soit pas de chez, nous l’aloès est fréquent dans nos midis et les jardins de Monaco en arborent de splendides pour attirer les touristes. Le Prince est bien bon d’agrémenter son Rocher pour le plaisir d’un visiteur qui ne manquera pas de laisser quelques sous dans ses casinos une fois sa curiosité satisfaite.
Comment l’aloès devient une bonne affaire : en plus de vertus médicinales avérées, ingestion ou pommades, il participe à la prospérité de ce site mémorable. Il orne avec talent de minuscules jardins publics créés tout exprès au pied de tours gigantesques afin de justifier leur existence. On en voit même de ces jardins exotiques en haut des tours. Il suffit de monter sur d’autres tours voisines pour les admirer. Au pays de La Fontaine
De l’aloès on s’éloigne, croyez-vous ? Pas tant que ça si on considère certains usages étonnants. Par exemple dans les villages pauvres du Nord de l’Afrique le bois d’œuvre manque autant que l’argent pour l’importer. L’aloès commun y devient assez haut avec cet avantage de pousser une tige épaisse de plusieurs mètres avant sa floraison à son extrémité. On retrouve cette tige sèche et durcie dans la construction des masures ou des clôtures qui abritent les bergers aussi bien que leurs bêtes. On touche ainsi les deux extrémités de l’usage de l’aloès : tantôt accaparé pour l’agrément des riches monégasques, tantôt chichement récupéré par les fellahs dépourvus de tout bien être. Candide aurait trouvé de quoi philosopher dans un tel rapprochement, ou distorsion, de ceux dont la terre souffre plus que jamais même si elle ne s’est pas encore arrêtée de tourner.
Finalement Dutronc avait raison de chanter dans l’univers il y a des cactus, même s’ils ne sont pas de la même espèce que l’aloès. On s’y pique à foison dans les couloirs des Assemblées en cette fin d’année, quand des députés essaient de faire accroire que la dissimulation de certains de leurs revenus est une occupation d’intérêt général ou que la surveillance de l’Internet en favorisera la morale. Pas davantage que les fellahs ont le loisir d’admirer les fastes de Monaco, les usagers du net ne se laissent prendre aux manœuvres destinées à limiter leur liberté d’expression. Aux Candides pieds et poings liés Pangloss a rappelé pour toujours les vertus du droit de penser.
Comme l’aloès ne fleurit pas chaque année la vérité étouffée, ici ou là, ressort parfois sous des formes inattendues. C’est la faute à Voltaire !