PANISSE

               Un mot simple, pour un mets simple. Il paraît que les Ligures en sont à l’origine. Pas les Ligures du temps d'avant les Romains, ceux d’aujourd’hui, dont la province s’étend de Gênes à la frontière avec une annexe à Nice. En fait personne ne sait quand fut inventée la panisse ni le nom du génial cuisinier, les cuisiniers sont toujours géniaux si on les écoute, qui décida de la cuisiner. Quoi ? Vous ne savez pas ? La panisse c’est de la farine de pois chiche cuite dans l’huile d’olive et l’eau.

               Encore un plat de pauvre ou un plat populaire. Décidément c’est la mode. Pas si sûr. Les pois chiches sont rares, allez donc les trouver. Chiche dit bien ce que ça veut dire : grippe-sou, petit, mesquin, médiocre, presque avare ou encore rapiat, petit bras, crève la faim, la dalle, mangeur de farine, amateur de galette et toutes amabilités de ventre affamé.

Juste, mais n’oublions pas que chiche a un autre sens. T’es cap ou pas cap, tu mises ta chemise ou tu sautes du deuxième, tu pars bosser à Hong Kong, tu fais du gringue au, à la, voisin(e ? …J’ose pas. Chiche, il défie, il décoiffe les peureux. Et la lune, c’est quand qu’on la décroche ?

Finalement je parie que c’est encore les riches qui récupérent la panisse. Cette denrée, autrefois banale, presque méprisable, pénètre aujourd’hui les menus des grandes tables au lieu de bourrer la panse  des villageois. Forcément les paysans ont déserté les restanques où ils cultivaient les pois et préfèrent charger leurs caddies-chariots de frites précuites à Carrefour. Les goûts évoluent, les mœurs aussi. Le client ricain du Chantecler s’ébahit devant cinquante grammes de panisse dorée au four et vantée comme un plat ligure raffiné. Dans l’arrière pays niçois où elle est devenue rare, il reste au résident de Castellar le maigre choix de s’éclater, une fois l’an, avec une part de socca hors de prix à la fête paroissiale. Et si vous ne connaissez pas la socca je ne vous dirai rien. Reportez vous à votre meilleur dico de cuisine ligure.

               Car la panisse n’est pas si simple que son apparence. Ce mot a de l’humour.

Pagnol l’avait bien vu qui en affublait un des héros de sa trilogie. Ce brave Panisse jouait de faire valoir idéal aux foucades de César-Raimu. Comme on l’a aimé avant que la télé nous le banalise! Un mot qui siffle, souffle, sent le mistral, la lavande,

la Provence

               D’ailleurs je me demande si quelque astucieux rigolo n’aurait pas l’idée de nous inventer un instrument à base de pois chiche et de cougourde. La musique de pois nous sauverait du bavardage. Le jingle de pois en calebasse est à créer. Qui s’y colle ?

               Tout de même je reconnais l’inconvénient : panisse fait un peu trop sa Méditerranée qui bêche. Avec un mot pareil on risque de fâcher des provinces où triomphe la ramée de pois ou la soupe de châtaigne. La prochaine fois, qu’ils me pardonnent, je trouverai un mot pour les Lillois ou les Alsaciens. 

               Recette.

A Nice la panisse se mange sans malice

Marseille la garnit à l’oseille

Gênes s’en mêle sans gêne

Et Manosque s’en moque.